Accueil Economie Transport maritime : La Tunisie, un acteur clé sur la scène logistique méditerranéenne

Transport maritime : La Tunisie, un acteur clé sur la scène logistique méditerranéenne

À travers le monde, y compris en Tunisie, les pays adoptent et mettent en œuvre des politiques commerciales internationales visant à protéger et à promouvoir leurs entreprises locales. L’objectif est double : stimuler les exportations et exercer un contrôle raisonné sur certaines importations. Ces politiques s’articulent autour de mécanismes de libéralisation tout en intégrant des mesures protectionnistes, un équilibre particulièrement recherché à l’aube de cette nouvelle ère économique. Pour mieux comprendre les enjeux et les implications de ces choix stratégiques, Sami Zgueb, directeur général de la logistique et du transport multimodal, nous apporte son éclairage.

La compétitivité à l’exportation de notre pays, ou de nos entreprises, se mesure à leur capacité à produire et à commercialiser des biens et services sur les marchés étrangers à des prix compétitifs, tout en maintenant un niveau de qualité qui assure leur viabilité et leur pérennité à long terme. Elle représente un indicateur essentiel de la performance économique, notamment à travers la croissance des exportations de produits et services à forte valeur ajoutée.

Dans cette perspective, Sami Zgueb, directeur général de la logistique et du transport multimodal, souligne que la performance logistique constitue aujourd’hui un levier stratégique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises à l’échelle internationale. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale a élaboré l’Indice de Performance Logistique (IPL), un outil d’analyse comparative interactif conçu pour aider les pays à identifier leurs défis logistiques, à cerner les opportunités d’amélioration et à définir les actions à entreprendre pour optimiser leur positionnement global.

L’importance de la performance logistique

Cet indice repose sur six critères clés d’évaluation : l’efficacité du dédouanement et de la gestion des frontières, la qualité des infrastructures liées au commerce et au transport, la facilité d’organisation des expéditions internationales à des coûts compétitifs, la compétence et la qualité des services logistiques, la capacité à assurer le suivi et la traçabilité des envois, ainsi que la régularité des livraisons dans les délais prévus ou attendus.

Pour répondre aux exigences de performance logistique, et depuis la création en 2014 d’une entité dédiée à la promotion de la logistique et du transport multimodal en Tunisie, le ministère des Transports a mis en place un plan intégré de développement du secteur. Ce plan s’articule autour de quatre axes principaux : le développement des infrastructures (notamment à travers la création d’un port en eau profonde et l’aménagement de zones logistiques), le développement des services logistiques, avec une attention particulière à la rationalisation des flux et à l’optimisation de l’assemblage des marchandises, l’adaptation du cadre juridique et institutionnel ; ainsi que le renforcement des compétences, la coordination des acteurs et l’amélioration de l’attractivité du secteur logistique au service de l’industrie, de l’agriculture et du commerce.

Le responsable a également indiqué que la mise en œuvre de ce plan aurait permis de progresser vers plusieurs objectifs stratégiques majeurs. Parmi ceux-ci figure la maîtrise du coût logistique, actuellement estimé à plus de 20 % du PIB, avec pour ambition de le ramener à 12 % d’ici 2030 — un objectif ambitieux, mais jugé réalisable. Le plan vise également à accroître la capacité logistique et le volume du trafic, afin d’atteindre un taux d’utilisation optimal des infrastructures disponibles, équivalent à un plein emploi logistique.

Par ailleurs, il s’agit d’améliorer les performances globales du secteur en renforçant les capacités des institutions spécialisées et en généralisant l’usage des technologies modernes, notamment l’intelligence artificielle. Enfin, le développement des infrastructures logistiques reste un pilier essentiel de cette stratégie, avec la mise en place d’un réseau de transport intégré et l’augmentation des capacités de stockage, à travers la création d’un maillage d’aires logistiques multi-activités.

« Malgré les contraintes financières et les conjonctures défavorables — crise sanitaire, flambée des prix post-Covid, instabilité internationale — je demeure convaincu que nous disposons de toutes les capacités nécessaires pour redresser la situation. Cela passe par l’adoption d’une politique cohérente et coordonnée entre l’ensemble des acteurs publics et privés du pays. Une première étape décisive consisterait à faire aboutir une loi, déjà longuement débattue par les spécialistes, visant à structurer efficacement la mise en œuvre de la logistique en Tunisie, tout en évitant les complications et les interférences avec les règles de la compétitivité. A cet égard, un projet de loi a d’ores et déjà été soumis à Monsieur le ministre », a affirmé Sami Zgueb avec conviction.

Développement du transport multimodal

D’après lui, la croissance rapide du commerce mondial, portée par l’ouverture de nouveaux marchés, entraîne mécaniquement une augmentation soutenue du volume des services de transport. Face aux défis posés par les tendances actuelles du marché, la quasi-totalité des pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord investissent massivement dans le développement et l’optimisation du transport multimodal. Cette approche vise à favoriser l’intégration harmonieuse de leurs systèmes de transport locaux dans le marché mondial des services logistiques, et à en renforcer la compétitivité.

« Le recours au transport multimodal pour les échanges de marchandises entre l’Europe et l’Asie a connu, au cours des dernières décennies, un essor significatif. Alors que ces flux étaient autrefois dominés par le transport maritime — le transport aérien ne représentant qu’environ 1 % des volumes —, la situation a sensiblement évolué. L’expansion et l’intensification du commerce mondial, combinées aux grandes initiatives économiques de la Chine, acteur clé dans la production de matières premières, ont permis de relancer les liaisons ferroviaires existantes, de les moderniser, d’en construire de nouvelles et d’aménager des postes de contrôle aux frontières des pays d’Asie centrale », explique Sami Zgueb.

Et de poursuivre : « En Tunisie, comme ailleurs dans le monde, nous sommes convaincus que le recours au transport multimodal repose sur une évidence : chaque mode de transport possède ses avantages spécifiques, mais aussi ses limites. En les combinant de manière stratégique, le transport multimodal permet de tirer parti des complémentarités entre les différents modes, offrant ainsi de nombreux bénéfices. Il renforce la connectivité, réduit la congestion sur certaines infrastructures, abaisse les coûts de transport, atténue l’impact environnemental, et optimise la logistique ainsi que la gestion de la chaîne d’approvisionnement.

Il ne me semble donc plus justifié, aujourd’hui, de remettre en question les stratégies de réhabilitation de notre réseau ferroviaire, de modernisation de nos routes, d’extension ou d’optimisation de nos terminaux portuaires et aéroportuaires, ou encore d’aménagement des terrains dédiés aux zones d’activités logistiques — même si leur concrétisation ne sera pas immédiate, en raison des ressources financières considérables qu’elle exige », a souligné Sami Zgueb.

La transformation numérique est un levier majeur

« Les nouvelles technologies représentent une opportunité unique pour notre pays si nous souhaitons accélérer le développement du secteur logistique », affirme Sami Zgueb. « À juste titre, la blockchain est en mesure de transformer ce secteur en améliorant la traçabilité, en optimisant les processus de fret et en réduisant les risques de fraude. Elle permet de créer des enregistrements transparents et immuables des opérations de la chaîne d’approvisionnement, garantissant ainsi la vérifiabilité et la sécurité à chaque étape ». Il précise également : « Dans le domaine de la sécurité alimentaire, par exemple, la blockchain permet un suivi rigoureux des produits depuis leur origine jusqu’à la distribution finale, grâce à une base de données décentralisée. De même, dans le transport, des solutions fondées sur cette technologie sont déjà utilisées pour réduire les délais de dédouanement et de livraison, notamment grâce aux contrats intelligents qui automatisent les paiements et simplifient les échanges ».

Et d’ajouter : « En renforçant la transparence et la confiance entre les différents intervenants, la blockchain réduit les litiges, améliore la responsabilisation et rend les opérations logistiques plus efficaces et rentables. Elle favorise aussi le développement durable, en apportant des preuves d’approvisionnement éthique et de pratiques respectueuses de l’environnement — un critère de plus en plus décisif pour les consommateurs et les investisseurs. »

Concernant l’intelligence artificielle, Sami Zgueb estime que « le secteur du transport et de la logistique pourrait connaître une transformation radicale, à condition que son intégration se fasse de manière progressive et planifiée, en tenant compte des spécificités de notre réalité nationale ».

 Il nuance toutefois : « Nous devons avancer sans ignorer nos fragilités : insuffisance des infrastructures, manque de capteurs intelligents, inadaptation de l’offre de transport collectif, lenteur dans l’achèvement de projets stratégiques comme la billettique ou le SIV, et surtout, une certaine résistance au changement ».

Il se montre néanmoins optimiste : « L’élaboration cette année d’une stratégie nationale sur l’IA est un signal fort. Nous pouvons compter sur notre capital humain qualifié, un écosystème entrepreneurial dynamique, et un engagement gouvernemental en faveur de l’open data. La Tunisie a été parmi les premiers pays africains à miser sur l’ouverture des données publiques, ce qui constitue un socle fondamental pour le déploiement d’applications d’IA ».

Sami Zgueb affirme aussi que « l’usage de l’IA dans la logistique permettrait une exploitation intelligente des données en temps réel, une amélioration de la qualité des services, une lutte plus efficace contre la corruption, et une transparence accrue. Elle renforcerait notre positionnement régional et pourrait attirer des financements verts, tout en s’inscrivant dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) ». Enfin il met en garde : « Ces opportunités ne seront pleinement réalisables que si nous restons vigilants face aux enjeux éthiques et de cybersécurité, à l’instabilité géopolitique, et au risque de décrochage technologique par rapport à nos concurrents comme le Maroc, l’Egypte, ou encore le Kenya et le Rwanda».

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